jeudi 31 décembre 2009

Aller vers la rencontre

Hier, une question m'a été posée. « Si comme vous le dites, le monde extérieur n'existe pas, si le monde existe seulement en nous, si nous avons accès à toute la connaissance et que tout notre bonheur est déjà là, simplement en nous-même, si au plus loin je ne rencontre qu'une part de moi-même pourquoi partir, voyager, aller vers la rencontre ?»
Rien n'est plus explicite que la merveilleuse histoire du rabbi Eisik fils de Jekel raconté par Martin Buber (« erzahlungen der chassidim ») :


Dans le ghetto de Cracovie où sa foi inébranlable enlumine la noire misère de sa vie, le rabbi fait, un soir, un rêve. Le voilà transporté très loin, à Prague, où il découvre sous le deuxième pilier du pont Venceslas un considérable trésor. Quand, pour la troisième fois, le même rêve exalte sa nuit, il n'y tient plus : il noue son balluchon, serre sa femme et ses enfants contre son coeur et prend seul la route. Après d'interminables semaines de marche, les pieds en sang, il atteint la capitale de Bohême.
Son émotion est grande de retrouver, là, l'exacte topographie de son rêve. Le pont est, hélas! arpenté nuit et jour par des sentinelles. Le rabbi scrute le soutènement de son pilier en se grattant la tête et revient chaque matin se poster là, toujours plus désemparé.
Un beau jour, le capitaine des gardes finit par s'approcher et par lui demander d'un ton amène ce qu'il vient chercher chaque matin. N'y tenant plus, d'un seul élan, le rabbi lui narre son rêve.
L'officier éclate d'un rire homérique. « Pauvre insensé! lui dit-il. Ainsi tu n'as parcouru tant de verstes qu'à la poursuite d'un rêve! Pense un instant à ce qui adviendrait si, sur terre, tous étaient aussi fous que toi! Ainsi moi, par exemple, sais-tu ce que j'ai rêvé ces derniers temps?» Le rabbi, heureux après si longue abstinence verbale, d'avoir enfin à qui parler, lui dit qu'il l'apprendrait bien volontiers.
« Eh bien, vois-tu, j'entends depuis trois nuits, une voix qui me suggère d'aller jusqu'en Pologne, à Cracovie, où, dans le recoin le plus sombre de la maison d'un certain rabbi Eisik, fils de Jekel, est caché derrière le poêle... oui, derrière le poêle... un trésor!»
Et de s'interrompre, hilare, pour se tenir les côtes. « Imagine donc un instant que, moi aussi, je me mette en route! Dans le ghetto où certes la moitié des gens s'appellent Eisik et l'autre moitié Jekel, il me faudrait jeter bas toutes les masures du quartier pour mettre la main sur mon trésor! Ah ah! mon brave, crois-moi : oublie ta folie et rentre chez toi! » Le rabbi s'incline profondément, prend congé de l'officier non sans l'avoir remercié de son précieux conseil, et reprend sans tarder le chemin du retour.
Parvenu chez lui après son long périple, il s'empresse de creuser dans le recoin le plus sombre de sa maison, derrière le poêle. Il y découvre le trésor qui met fin à sa misère et lui permet d'édifier la maison de prières qui porte encore son nom.

mardi 29 décembre 2009

A propos de l'illusion

"Un être humain est une partie d'un tout que nous appelons: Univers. Une partie limitée dans le temps et l'espace. Il s'expérimente lui-même, ses pensées et ses émotions comme quelque chose qui est séparé du reste, une sorte d'illusion d'optique de la conscience.
Cette illusion est une sorte de prison pour nous, nous restreignant à nos désirs personnels et à l'affection de quelques personnes près de nous. Notre tâche doit être de nous libérer nous-même de cette prison en étendant notre cercle de compassion pour embrasser toutes créatures vivantes et la nature entière dans sa beauté."

Albert Einstein

samedi 26 décembre 2009

Guérir notre passé


« Nous avons un travail à accomplir pour guérir notre passé. Un passé malade peut se soigner. Le passé à la même consistance que le rêve. C’est comme les cartes du tarot. Ce sont des manifestations qui n’ont pas d’explication rationnelle précise. On peut les interpréter à chaque moment d’une façon différente, selon notre degré de conscience.
Si notre niveau de conscience s’élève, la signification du passé change - et puisque l’arbre se juge à ses fruits, si les fruits changent, l’arbre change aussi. Nous pouvons donc guérir notre passé, le comprendre mieux. C’est en nous que le grand-père, l’arrière grand-père, souffrent de leur irréalisation. Si donc nous nous réalisons, nos aïeux en nous vont se réaliser, en rejoignant notre degré de conscience.

- Il y aurait donc une réversibilité du temps ? Les théoriciens du chaos disent le contraire. Ils disent que le monde est à la fois imprévisible et irréversible.
Oui mais ça, c’est le sort de la matière. Pas celui de l’esprit. Dans l’esprit, les choses peuvent se renverser. Une souffrance peut devenir joie. Un échec peut se métamorphoser en réussite. Si l’on pense que l’on vit seulement dans son corps, tout est irréversible. Mais si nous sommes autre chose que notre seul corps, le passé devient accessible, là, dans le présent. Agissant sur votre présent, vous agissez sur votre passé. Illuminant votre présent, vous illuminez votre passé. »
Alejandro JODOROWSKY

vendredi 25 décembre 2009

La mobilité confisquée


A une époque où même les gens du voyage sont contraints de se sédentariser, où notre société ne laisse plus aucun espace pour la mobilité, l'encadre pour la fixer lui ôtant sa part de magie et son souffle de liberté, paradoxalement la mobilité est prônée comme une valeur forte de notre civilisation. Mais une mobilité professionnelle, encadrée par une stratégie économique. Non pas une mobilité psychique régie par son ressenti. Celle-ci nous est confisquée, en nous projetant constamment hors de nous-mêmes à la recherche d’un bonheur qui ressemble de plus en plus à une quête effrénée d’une sécurité qui toujours nous échappe. Comme tout ce qui nous est retiré au profit de l'idéologie sécuritaire, les valeurs perdues par l'être humain nous sont montrées à portée de portefeuille à travers les objets (la mobilité se retrouve dans le téléphone, l'ordinateur...).
Un travail de fond désinvestit l'être humain, devenu alors être de manque au profit d'objets divinisés porteurs du sens de notre existence, voie royale vers le bonheur.
Comment sommes-nous passés en un peu plus d'un siècle du rêve à l'objet, dans la voie royale qui mène à l'inconscient ? Car ne nous-y trompons pas, la mobilité qui nous est retirée n'est pas seulement physique. Bien sûr aujourd'hui faire les choses soi-même devient un luxe: ouverture automatique des portes, lave-vaisselle, micro-onde, sociétés de multiservices sont là, à tous les étages pour faire à notre place. Bien sûr la libre circulation des biens et des marchandises n'est pas remise en cause alors que l’on a pensé à mettre en place des contrôles d'ADN pour empêcher les regroupements familiaux. Bien sûr la mobilité professionnelle n'est que rarement laissée à l'initiative de l'employé. Mais la mobilité psychique, celle qui nous permet de créer, de penser, peu à peu se fige. La encore le paradoxe est surprenant: ce monde du zapping et du divertissement ne nous laisse plus le temps de nous penser et d'advenir. Plus les objets bougent et communiquent entre eux, plus l'être humain se fige dans sa pensée et sa solitude. Moins d'entrain pour découvrir des mondes nouveaux: partout le même village, la même musique, les mêmes fruits.
Et pourtant la vie nous réserve un paradoxe colossal : au sein même de nos contraintes, de notre fixité, se trouve une porte, une ouverture ou plutôt une brèche. Au sein même de la réalité, figurent des mondes cachés, lumineux, vastes et encore inexplorés. La difficulté, c'est que cette porte ne se trouve pas physiquement dans une embrasure, ni cachée dans des murs, ni au sol, recouverte d'un tapis de bruyère.
Non, elle se trouve dans notre cerveau, à la jonction des signaux électriques et des représentations mentales. Là où se crée le monde! Nous avons oublié que la réalité perçue n'est qu'une représentation personnelle du réel existant. Ce monde si écrasant nous en possédons la clé. Cette réalité durcie qui nous entoure nous pouvons la fabriquer aussi et autrement. La prise de pouvoir ne passera plus par une idéologie ou une révolution à l'échelle d'un pays, mais naîtra de ce sentiment intime qu'au plus fort de l'écrasement, l'être humain dans sa singularité peut changer la réalité existante et être co-créateur du monde dans lequel il évolue. Si nous arrivions à percevoir ce qu'est le réel dans sa mouvance, son vide, son infinie variété et son incessante transformation au lieu de nous heurter constamment à ce monde massif, définitif!
Nous nous heurtons au mur et nous disons: ce monde est infranchissable! Arriver à penser qu'il y a encore si peu de temps ce mur n'existait pas, il est seulement la création de la pensée et de la main de l'homme. Une pensée différente et nos mains plutôt qu'élever des murs oseraient la rencontre.

lundi 21 décembre 2009

La beauté est partout

"Que vous soyez en ville ou dans la montagne, vous êtes dans la meme nature. Ici, la nature a pris forme de collines et d'arbres ; ailleurs, elle est devenue boutiques et magasins. Une fois que vous savez le secret de l'acceptation, même un marché acquiert de la beauté : la vie qui le remplit, son animation, la folie magnifique qui y règne, cela a sa beauté propre ! Et la montagne ne serait pas aussi belle s'il n'y avait pas de marchés, sachez-le.
Si la montagne est belle à ce point, silencieuse, c'est à cause des marchés. Ceux-ci créent le silence dans la montagne."

Osho (Mon chemin, le chemin des nuages blancs)

samedi 19 décembre 2009

Transformation ou arrachement?


Nous avons une représentation totalement erronée du déroulement de la vie, une représentation qui souvent nous terrorise. Par exemple, la mort est perçue comme s’opposant totalement à la vie ; la vieillesse comme survenant brutalement dans un corps jeune ; la maladie comme une effraction passagère ou définitive dans un corps en pleine santé.
La réalité est toute autre, faite d’incessantes transformations, de passages d’un état à un autre, dans un processus lent, régulier et continu. Nous avons perdu de vue que sous l’apparente solidité de l’organisme vivant se cache une réalité mouvante. A l’échelle macroscopique, notre corps semble solide et stable, ne se transformant que très lentement au fil des années.
Cependant le corps ressemble en fait bien plus à une rivière qu’à un objet figé dans le temps et l’espace. Si l’on pouvait voir le corps dans sa réalité profonde, on ne l’observerait jamais deux fois de suite dans les mêmes conditions puisque 98% des atomes de l’organisme étaient absents un an auparavant et que le squelette qui semble si solide n’était pas le même trois mois plus tôt. La configuration des cellules osseuses demeurent plus ou moins constantes mais des atomes différents passent et repassent en toutes liberté au travers des parois cellulaires, ce qui explique qu’un nouveau squelette se forme tous les 3 mois. La peau elle, se renouvelle tous les mois, la paroi de l’estomac change tous les quatre jours et les cellules superficielles, qui sont en contact avec les aliments, se renouvellent toutes les cinq minutes. De même, le corps humain semble séparé de tout ce qui l’entoure et ne semble être influencé que modestement par l’environnement au quotidien, mais à travers les processus de respiration, de digestion, d’élimination, il se produit une relation d’échanges constante. Et une mémoire de la forme, permet de diriger ces changements de manière que le corps ne s’effondre pas comme une simple pile de briques.
Ainsi loin d’être un simple objet, un organisme vivant est un véritable vortex énergétique. Se transformant à chaque instant, s’adaptant en permanence, notre corps que nous semblons retrouver identique chaque matin ne se ressemble jamais. Et la situation est pire avec notre esprit. Notre cerveau qui nous permet de nous reconnaître ne cesse de nous raconter notre histoire pour nous rappeler qui nous sommes et trouver un lien d’instant en instant avec celui que nous fûmes et qui déjà n’est plus. Ce travail d’historisation de notre vie nous berce d’illusions sur notre existence et nous leurre sur notre sentiment de permanence. A chaque rencontre nous nous transformons. Nous ne sommes qu’un bout à bout de rencontres, un patchwork de pensées et de modèles des gens que nous avons un jour aimés, même de manière fugace.
Si nous intégrons la transformation incessante de notre corps, de notre être, en harmonie complète avec la danse de l’univers, alors il n’y a au final aucune perte, aucun arrachement véritable, exceptée la perte des représentations mentales. Au lieu de nous replier sur nos possessions éphémères et envers et contre tout s’amarrer désespérément à elles pour ne pas les perdre, il serait judicieux de porter attention à ce qui se transforme et accueillir ce qui est nouveau, ce qui surgit de nous en permanence.
La transformation n’est pas une perte, c’est un processus de vie naturel qui offre ses fruits à chaque étape.

vendredi 18 décembre 2009

La leçon de l'aigle




L'aigle a la plus longue vie de tous les spécimens de son espèce : Il peut vivre jusqu'à 70 ans. Mais pour atteindre cet âge, l'aigle doit prendre une difficile décision en atteignant 40 ans :

1 - Ses longues serres devenues trop flexibles ne peuvent plus se saisir de la proie qui lui sert de nourriture.
2 - Son long et pointu bec devient trop coudé.
3 - Ses ailes sont devenues trop lourdes en raison de leurs nombreuses anciennes plumes épaissies, et elles rendent son vol difficile.

Alors, l'aigle fait face à un choix difficile : mourir ou passer par un processus douloureux de changement qui durera 150 jours... soit 5 longs mois. Ce processus exige que l'aigle vole jusqu'en haut d'une montagne sur son nid. Là, l'aigle va frotter et frapper son bec contre une roche jusqu'à ce qu'elle l'érode. Après cela, il attendra la repousse d'une corne neuve et rigide qui formera un nouveau bec. Ensuite, il tentera d'arracher et d'user ses serres. Après cela de nouvelles serres se développeront selon un processus de repousse permanente. Puis encore, l'aigle commencera à plumer ses plumes âgées. Après cela, des plumes neuves plus légères et plus souples repousseront. Et enfin, après ces cinq mois de douloureuse patience, l'aigle prendra son vol célèbre de renaissance et pourra vivre ses 30 années supplémentaires.

Pourquoi le changement est-il parfois nécessaire pour nous aussi ? Souvent, pour survivre, nous devons, nous aussi, commencer un processus de changement. Nous devons alors parfois douloureusement nous débarrasser de veilles habitudes, souvenirs, coutumes. C'est seulement libéré du fardeau du passé que nous pouvons alors profiter du présent et de l'avenir. C'est la leçon de l'aigle.
Auteur inconnu : texte de tradition amérindienne, basé sur des faits réels

La permanence du mouvement








Photos des oeuvres d'Andy Goldsworthy

Nous recherchons la permanence là où elle ne se trouve pas : dans les objets que nous convoitons, dans les lieux que nous occupons, dans les liens qui nous unissent à d'autres, dans les idées, dans les serments, dans la continuité de notre personnalité. Jamais là où elle se trouve : dans la transformation et le mouvement. Chercher la permanence dans le mouvement peut sembler paradoxal voire provocateur et pourtant!

Nous n'avons de cesse de maudire le temps qui passe, le corps qui change, les liens qui se brisent. Peu de place pour la gratitude, pour cet instant toujours nouveau, pour ces rencontres qui nous nourrissent, pour ce monde qui se déploie à chacun de nos pas. Nous n'y pensons pas mais quel que soit l'endroit où nous mènent nos pas, le monde est là! Que je décide de tourner à gauche ou à droite, le monde se déplie à gauche ou à droite. Et même si je poussais le défi d'aller au bout de l'univers, le monde continuerait à se déployer. Aurais-je touché la limite du visible, se déploie alors l'invisible sans fond et sans bord.

Aucune gratitude pour l'aube qui se lève, comme si c'était gagné d'avance ! Aucune gratitude pour cette faculté de jouer, option offerte avec le ticket de vie mais qu'il nous faut valider, accueillir, honorer en permanence. Expérimenter, nous ne savons plus faire. Essayer par nous-mêmes, sourds à la peur de l'autre, préférer goùter que recevoir le goùt à travers l'idée d'un autre, qui lui-même l'a reçu de la peur d'un autre! quand cette chose-là a-t-elle été goùtée pour la dernière fois ? Toujours offerte, disponible, et pourtant jamais touchée parce qu'emballée et étiquetée pour être vendue, stérilisée par l'analyse, lyophilisée pour tenter de la conserver ; il en est ainsi de la sexualité, de l'amour, du sentiment, de l'émotion!

La permanence dans la transformation et le mouvement! accepter que rien ne soit comme je m'y attends, que rien ne prenne la forme que j'ai imaginée, que plus rien de ce que j'ai appris de l'autre ne soit vrai aujourd'hui, que rien de ce que je sais de moi soit encore véritablement moi. Que reste-t-il alors de nos certitudes, de nos fondations ? Il reste l'humilité ! Comment pourrait-il en être autrement ? Comment ne pas être humble lorsqu'il m'a fallu plus de 40 ans d'efforts, de souffrances, d'actions, de conquêtes et de désastres pour retrouver celui que j'étais en naissant ?