vendredi 26 février 2010

Hommage à Didier Dumas






Didier Dumas nous a quitté dimanche dernier. Ce matin, dans quelques minutes, il sera incinéré à Arcueil. C'est pour moi l'occasion de rendre hommage à ce grand chercheur. D'autres que moi en feront l'éloge, listant ses apports au monde de la psychanalyse et de l'analyse transgénérationnelle, soulignant son engagement dans le chamanisme urbain ou son soutien à la psychophanie...


Je ne retiens qu'une chose : un être profondemment attentif (d'une attention particulière, de l'ordre de la Présence) animé d'un souffle qu'il savait partager comme nul autre.

De mon travail avec Didier en analyse ou en chamanisme, je garde cette Presence et ce Souffle qui m'anime aujourd'hui.
En quête d'un père, il m'a offert ses structures mentales pour me permettre de me construire, à mon rythme; dans une liberté d'être, dans une sécurité intérieure qui ne m'a plus quittée.

Mais j'ai toujours senti une exigence chez Didier, celle de la nécessite de "prendre son pouvoir", trouver sa liberté d'être, hors des concepts, des dogmes, du regard de l'autre. Cet homme "qui ne prenait ses ordres que d'en haut" avait ce don particulier, cette énergie communicative qui obligeait à se mettre en mouvement. Et très souvent ce mouvement s'est traduit pour ceux qui l'ont côtoyé par l'obligation de transmettre ce qui dans la relation émergeait.

Je lui exprime toute ma gratitude. Il rejoint dans mon coeur d'autres "êtres de tonnerre" que furent Chritiane Singer ou Yvan Amar partis eux aussi bien tôt.

jeudi 4 février 2010

L’enfer, le paradis et la longue cuillère

Ti-Jean était de ces vauriens qui ont leurs entrées chez les anges.
Les fées, les démons, les archanges, les quatre filles de Satan étaient de ses fréquentations. Bref, il était partout chez lui. Il se trouva donc, un beau jour, en vacances dans l’au-delà, invité par saint Théodule, un vieil ami de ses parents.
Le bienheureux lui proposa (il voulait lui faire plaisir) quelques visites culturelles au musée de l’art de mourir, au palais du roi des fantômes, au zoo des bêtes à Bon Dieu et autres lieux du pays ordinairement fréquentés par les touristes trépassés.

Ti-Jean consulta les brochures que lui vantait le saint patron, puis il fit la moue et lui dit :
- Ta générosité m’émeut, mais des parcs et des monuments nous en avons chez les vivants à ne plus savoir où les mettre. Par contre, nous ne connaissons, dans nos royaumes rationnels, que des paradis minuscules et de ridicules enfers. J’aimerai visiter les vrais.
- Rien de plus simple mon garçon, lui répondit l’auréolé. Les voilà donc au seuil discret d’un de ces restaurants de luxe où l’on ne parle qu’à mi-voix. Deux laquais devant eux se courbent, leur prennent vestes et chapeaux.
- Au sous-sol, messieurs ? À l’étage ?
- Au sous-sol, dit saint Théodule.


Rectification de cravate, clin d’oeil à Ti-Jean ébahi.
- Mieux vaut commencer par l’enfer. Après toi. Attention aux marches.
Ils y descendent. Et que voient-ils ? Une immense salle à manger aux quatre murs indiscernables, une table unique mais longue, si longue qu’elle se perd au loin, dans les brumes de l’infini. Sur cette table, des soupières parfumées comme à la Noël, des langoustes, des plats de riz, de la viande aux épices rares, des desserts à la chantilly, bref un festin de rois gourmands.
Mille convives se font face, chacun armé d’une cuiller au manche plus long que le bras. Chacun l’emplit, mais comment faire pour la retourner proprement vers la bouche tordue, béante ? Ce diable de manche est trop long ! On râle, on peste, on tend le cou, on en tombe sur le parquet, on se barbouille le plastron, on meurt de faim dans l’abondance.

- Ils sont stupides, dit Ti-Jean.
- Non, damnés, répond Théodule. Viens à l’étage maintenant.
Ils remontent. Rez-de-chaussée, escalier raide et là, surprise. Même salle de restaurant, même table aux fonds embrumés, même festin, mêmes convives, même cuillers démesurées. Mais on mange, ici, on savoure, on se pourlèche, on rit aussi.
Chacun nourrit celui d’en face. Ti-Jean sourit.
- Le paradis ?- Tout juste, répond Théodule. J’ai un creux. Allons déjeuner.

Henri Gougaud

lundi 1 février 2010

"Légende de la bague royale" de Baruch Haday

Le Roi Salomon, l’homme le plus sage de la terre, avait parmi ses serviteurs un favori. Pourquoi? Parce qu’il faisait parfaitement tout ce qu’il lui demandait de faire. Mais les autres serviteurs du palais devinrent très jaloux. Le Roi savait que la jalousie est un vilain défaut et qu’il devait y mettre fin.
Aussi décida-t-il de confier à son serviteur un travail impossible à exécuter. Quand il constaterait que le serviteur n’avait pas réussi dans sa tâche, il le convoquerait devant tous les autres et le remettrait à sa place afin que tout le monde jouisse du même traitement et qu’il n’y ait plus de jalousie dans le palais.

Ainsi le Roi appela son serviteur un mois avant la pâque juive et il inventa une histoire. Il dit à son serviteur qu’on lui avait parlé d’une bague spéciale qui avait ce caractère particulier: quand on la portait dans la tristesse, on devenait heureux, et quand on la portait dans la joie, on devenait triste. Le Roi dit: “Je la veux. Peux-tu la trouver?”
“T’ai-je jamais déçu?” répondit le serviteur. “Bien sûr, je peux la trouver!”
“Très bien” dit le Roi. “Apporte-la moi le premier soir de Pâques.”

“Pâques?” demanda le serviteur “c’est dans un mois, je peux vous l’apporter dans deux jours.”
“Non, non” dit le Roi, “offre-la moi pour Pâques et donne-la moi le soir du dîner de Seder.”
“Oui, mon Roi”, dit le serviteur.
Celui-ci choisit des amis, les divisa en quatre groupes dont un partirait vers le Nord, un autre vers le Sud, un autre vers l’Est, un autre vers l’Ouest. Il leur dit: “allez votre chemin, arrêtez quiconque et parlez-lui de la bague. S’il sait quelque chose ou a entendu parler de quelque chose, revenez me le dire. Ainsi nous pourrons aller chercher la bague et la rapporter au Roi.”

Au bout de deux ou trois jours la première mission revint mais “Nada” (bien sûr puisque le Roi avait fabriqué l’histoire de toutes pièces et qu’une telle bague n’existait pas).
La seconde mission revint bredouille, de même que la troisième et la quatrième. Trois semaines s’étaient maintenant écoulées et le serviteur devint de plus en plus nerveux. Le “Seder” devant avoir lieu dans une semaine, il devait lui-même trouver la bague. Il allait de place en place, de village en village, de ville en ville, de maison en maison, de porte en porte, ne dormant plus, ne mangeant plus, posant à chacun la même question mais “Nada”. La veille du “Seder”, il revint à Jérusalem mais il avait peur de se retrouver au palais, chacun parlait de lui et disait qu’il était devenu fou.
Il se retrouva par hasard dans le quartier le plus pauvre de la ville et là, au fond d’une allée, il aperçut une toute petite échoppe à l’intérieur de laquelle se trouvait un vieil homme, un joaillier.

Il se dit en lui-même “si j’arrive pas à trouver la bague peut-être ce vieil homme pourrait-il la fabriquer? De toutes façons je n’ai plus rien à perdre, je vais lui poser la question.”
Il entra dans la boutique et dit à l’homme: “le Roi désire une bague qui rende triste quand on est heureux et heureux quand on est triste. Peux-tu fabriquer une telle bague?”
Le joaillier réfléchit une seconde et répondit: “bien sûr, c’est un jeu d’enfant.” Il prit une des bagues qui était sur la table et y grava quelque chose en hébreu.
Le serviteur était un esclave et il ne savait pas lire. Il prit la bague et s’en fut.Au palais, tout le monde était au courant de l’histoire et attendait la suite avec impatience. Le Roi était présent, un grand sourire sur le visage. Le serviteur était dans un coin, priant pour que le roi ait oublié son voeu. Mais le Roi lui fit signe d’avancer. Silence. Chacun tentait de s’approcher pour mieux entendre. Le serviteur était terrifié, il vint auprès du Roi en tremblant, les yeux rivés au sol. Le Roi sourit et lui demanda: “Alors, tu as la bague?”
Le serviteur était si effrayé qu’il murmura d’une voix brisée: “J’espère, mon Roi...”
“Je n’entends rien” dit le Roi.
“J’espère” dit le serviteur plus fort.
“Tends-la moi”, dit le Roi. Le serviteur lui donna la bague d’une main tremblante. Le Roi la prit avec le même grand sourire et la mit à son doigt puis il lut ce que le vieil homme avait gravé. Son visage devint triste tout-à-coup. Quand le serviteur se rendit compte de la tristesse de son Roi, il sut qu’il avait trouvé la bague inespérée.
Sur la bague étaient inscrits ces quelques mots en hébreu “Gam Ze Ya-avor”, ce qui veut dire:“Cela aussi passera